Quelque part au bord de la Méditerranée. Un village de pierres en ruine fréquenté par un artiste déchu. Il noie dans l’alcool le souvenir d’une existence faite de flamboyants happenings et de fantaisies sexuelles débridés. Son égérie, abîmée, mais à la puissance érotique intacte erre dans ses lieux hantés par leur passé commun. Le soleil et sa chaleur étouffante, la mer comme une barrière infranchissable. Et la mort partout comme un démiurge qui semble règner sur ces limbes entre le paradis et l’enfer.
C’est là que Rhino et sa bande ont choisi de se planquer avec leur 250 kilos d’or pur qu’ils viennent de cambrioler. Le temps de se faire oublier. Pas de bol, l’ex-femme de l’artiste, son fils et sa nounou vont débarquer dans le village suivis de près par 2 policiers à leur poursuite.
Exposez vous un peu plus au soleil
comme dirait une ancienne chanteuse
Parce que Laissez bronzer les cadavres c’est à la fois excitant comme une sieste crapuleuse sur une plage écrasée de soleil et une brûlure violente de la rétine. Un coup de soleil au cerveau que même une bonne crème cinématographique indice 50 n’aura pas suffit à prévenir.
Les 2 précédents opus ; Amer et L’étange couleur des larmes de ton corps ; de Hélène Cattet et Bruno Forzani nous avait gentiment préparés. Mais Laissez bronzer les cadavres marque un point d’orgue dans leur travail d’une cohérence thématique et formelle impeccable.
Il faudrait inventer un nouveau langage pour parler de Laisser bronzer les cadavres parce que l’expérience vécue en salle est si intense et particulière que les mots ne suffissent pas à la décrire. Le film pourrait agacer par ses parti-pris formels audacieux mais cette destruction des codes classiques de la narration se trouve au final être complètement réjouissante. Les réalisateurs tracent un chemin brûlant comme une rivière de lave dans un paysage cinématographique souvent moribond. Rien de moins. Préparez vous donc à vivre une expérience unique, hallucinatoire, profondément attachée à ses racines cinéphiles et en même temps complètement moderne dans son traitement.
Hélène Cattet et Bruno Forzani convoquent tous un pan de la cinéphile bis et déviante, s’y plongent avec jubilation et accouchent d’un maelström visuel complètement jouissif. Un croisement débridé entre western italien, polar d’une noirceur abyssale, performance artistique et trip onirique… Mais tous les names dropping ne pourront résumer l’expérience à laquelle nous invite Hélène Cattet et Bruno Forzani. Ils nous font partager leur amour sans précédent du cinéma de genre avec une foi incroyable en l’expression sensitive et sensuelle de l’image et du son. Chaque plan, chaque son est ciselé avec une précision d’orfèvre. Un fétichisme qui touche à la maniaquerie pour toucher l’expression la plus pure d’une idée, souvent démentielle. Matières, textures, corps, respirations, transpiration, poils, seins, sécretions. Les réalisateurs sculptent leur mise en scène, malmène la temporalité, violente chaque séquence pour en extraire le suc primordial. En cela ils sont les défricheurs d’un langage cinématographique pur ; comme Georges Miller par exemple qui dans Fury Road rend hommage à tout un pan du cinéma muet. Ce langage se déleste de ses influences anciennes (littérature, théâtre…) pour puiser ses sources dans l’histoire même du médium. En cela on pourrait les rapprocher des impressionnistes en peinture qui se sont libérés de l’académisme du sujet pour explorer l’aspect purement pictural de la lumière, des événements fugitifs et les possibilités expressives du médium. Hélène Cattet et Bruno Forzani se placent à la fois dans la ligne de l’avant-garde cinématographique (Jean Epstein, Abel Gance, Luis Bunuel…) et le cinéma expérimental mais également dans la culture bis et le cinéma de genre. Ils font les connexions évidentes entre ces 2 pans du cinéma qui ne semblent avoir rien en commun uniquement pour celui qui regarde mal.
Il se pourrait bien que Laisser bronzer les cadavres soit le film auquel la notion d’art cinématographique conviennent le mieux ces derniers temps.
Il faut regarder Laissez Bronzer les Cadavres
Sur grand écran. C’est là qu’il prend son sens. C’est pour cela qu’il a été réalisé.
Diffusé en Avant-première nationale le 17 Octobre au cinéma Axel de Chalon sur Saône
Un film écrit et réalisé par Hélène Cattet et Bruno Forzani
D’après le roman de Jean Pierre Bastid et Jean Patrick Manchette
Chef Opérateur Manu Dacosse
Ingénieur Son Yves Bemelmans
avec
Elina Löwensohn
Bernie Bonvoisin
Stéphane Ferrara
Marc Barbé
Marine Sainsily
Pierre Nisse
Marylin Jess
Production
Eve Commenge
François Cognard
Anonymes Films
Tobina Films
Distribution
Shellac