Le réalisateur Bertrand Mandico est un être protéïforme. Transgenre dans son art, dans son propos et dans ses envies. Echappé de l’école des Gobelins il réalise ses premiers films dès 1997. Toutefois Le cavalier bleu sera son seul vrai film d’animation. (Même si il y revient de manière détournée et un peu ironique en 2012 pour Living Still Life). Expérimentateur, touche à tout, adepte du collage visuel. Il travaille pour Canal + , Arte et France 5 sur des projets très courts sur lesquels il teste et triture la matière même de son moyen d’expression privilégié. Il construit son univers. Un univers baroque, hétéroclite, fait de télescopage visuels et artistiques. Il réalise toutes les pochettes des albums de Pierre Henry (célèbre compositeur de musique électroacoustique ; on lui doit notamment le morceau Psyché Rock repris pour le générique de Futurama).
Bertrand Mandico expose des dessins, collages, installations. Il écrit avec Katrin Olafsdottir, réalisatrice et scénariste d’origine islandaise (son viméo) le manifeste cinématographique incohérence qui édicte, tout comme le fit Dogma il y’a quelques années les règles de bases de son cinéma. Par exemple :
6. Le film doit être intemporel dans une géographie incertaine, bannir tout effet de réalisme / Incohérence temporelle et géographique
12. Le film ne doit appartenir à aucune tendance esthétique, narrative. Il doit être profondément cinématographique et donc fragile / Incohérence cinématographique
Manifeste de l’Internationale Incohérence /Reykjavik/ Barcelone/ Paris/ Berlin/ 12 octobre 2012///
Katrin Olafsdottir et Bertrand Mandico
Egalement compositeur de musique, il s’essaye pour ses propres films (Sur Living Still Life, Boro in the Box…) et ceux de Katrin Olafsdottir; il est commissaire d’exposition pour une rétrospective sur Walérian Borowczyk; un de ses réalisateurs fétiches pour lequel il a écrit plusieurs textes et ouvrages. Borowczyk est une réalisateur et plasticien polonais qui possède de nombreux points communs avec Mandico :
Borowczyk a commencé par l’animation avant de se tourner vers le cinéma live. Il s’inspirait du surréalisme et Bertrand Mandico se présente comme en partie comme un post-surréaliste. Tout en réalisant ses longs métrages, il continué en parallèles a réalisé des courts métrages expérimentaux. Sa carrière est liée à plusieurs égéries actrices.
Blanche de Walérian Borowczyk – 1974
Contes immoraux de Walérian Borowczyk – 1974
Bertrand Mandico travaille sur le projet 21 films en 21 ans avec l’actrice Elina Löwensohn (présente dans le film de Bruno Forzani et Hélène Cattet; Laissez bronzer les cadavres) dont le premier de la série est le court-métrage Salammbô (2014).
Bertrand Mandico rendra d’ailleurs un vibrant hommage a Borowczyk à travers le court métrage Boro in a box, biographie surréaliste et fantasmée de l’auteur emprunte d’un certain humour.
Boro in a box de Bertrand Mandico – 2013
Encore plus à l’Est le réalisateur voue une admiration sans borne à l’artiste Japonais Shuji Terayama. Poète, dramaturge, photographe, chroniqueur Sportif(!), scénariste et réalisateur qu’il découvre dans les pages du magazine Zoom (magazine dédié à l’image). L’oeuvre du personnage le nourrit tant sur le point formel; son approche de la couleur; que sur le fond. Terayama (playlist de ses oeuvres vidéos) se passionne pour la littérature européenne en particulier Antonin Artaud et Lautréamont.
photographies de Shuji Terayama – Les gens de la famille Chien Dieu
Mais ce n’est pas le seul artiste Japonais qui l’intéresse : Sogo Ishii, Teruo Ishii (Bach Films doit sortir prochainement dans une édition spéciale le Blu-ray de Blind Woman’s Curse, Kaneto Shindo.
Enfin il trouve dans l’excellent film Fire walk with me et plus récemment la troisième saison de Twin Peaks de David Lynch matière à satisfaire à la fois son désir de radicalité et son besoin de classicisme.
Pour autant Bertrand Mandico ne se laisse pas phagocyter par ses multiples influences. Il ingurgite, avide de curiosité mais développe une oeuvre personnelle mélange de poésie sulfureuse, de saillies érotiques, de récits épiques… Mandico travaille le trash, le mauvais goût ou la grossièreté en esthète ; il lui rend ses lettres de noblesse. Mandico boit à la source de ses multiples inspirations tant cinématographiques que littéraires il en extrait in fine sa propre liqueur aux saveurs puissamment baroques. distillant des notes de poésies visuelles profondément romantiques qui se mélangeant aux volutes d’un érotisme étrangement voluptueux. On appelle ça un grand cru.
Les Garçons Sauvages synthétise tout son travail jusqu’au point actuel. Comme si de tous ces flacons aux essences subtiles et épicées que sont ces courts métrages il avait extrait le meilleur, le plus dionysiaque pour nous l’offrir sous la forme d’un récit d’aventure libertaire et charnel. Ce n’est pas à proprement parler l’adaptation du roman éponyme de William.S .Burroughs. Ce roman semble inadaptable mais c’est plutôt une porte ouverte vers l’imaginaire. Chaque chapitre, chaque paragraphe du livre est une ouverture vers un scénario possible. Les Garçons Sauvages de Bertrand Mandico n’est donc même pas un hommage direct, le livre est une source d’inspiration tout comme l’île fantastique de Jules Verne mais le film, son récit, sa forme appartiennent complètement à son réalisateur. il reflète son imaginaire, ses pulsions, ses désirs.
Enfin soulignons l’incroyable prestation des 5 comédiennes : Vimala Pons, Pauline Lorillard, Diane Rouxel, Anaël Snoek, Mathilde Warnier. Parce que le film repose grandement sur leurs prestations. Entre les garçons terribles, violents et cyniques du début il s’opère une véritable transformation physique en femmes pleinement consciente d’elles mêmes par leurs seules qualités d’interprétations. C’est l’un des « effets » les plus réussis » du film à point qu’il en est troublant.
Il faut boire la coupe des Garçons Sauvages pour en apprécier pleinement le nectar.
C’est une expérience rare donc précieuse de cinéma.