L’Inde-L’autre Pays du Cinéma-Part 1

La production et la diffusion de films américains à l’international via Hollywood est l’un des piliers du soft power* du pays. Pourtant, Hollywood se trouve loin derrière Bollywood en nombre de films produits chaque année. 

D’ailleurs, mettons tout de suite un stop à un raccourci gênant. On ne peut résumer le cinéma Indien sous le terme Bollywood. Le territoire est immense et chaque région possède ses propres studios, son propre cinéma et ses réalisateurs attitrés : 

Bollywood ; cinéma originaire de la ville de Mumbai, anciennement appelée Bombay.
Tollywood ; une industrie du cinéma originaire de Hyderabad, les films sont réalisés en Telougou et une basée à Tollygunge ; quartier de Calcutta ; les films sont réalisés en bengali.
Mollywood ; une industrie du cinéma originaire de Thiruvananthapuran. Les films sont réalisés en Malayalam).
Sandalwood ; une industrie du cinéma originaire de Bangalore. Les films sont réalisés en Kannada, Konkani et tulu.

On ne résume pas le cinéma hollywoodien sous l’acronyme Disney (…Quoique) ; alors il faut arrêter d’associer forcément le cinéma indien au terme réducteur de Bollywood.
Alors que les Etats-Unis produisent entre 750 à 1000 films chaque année ; l’Inde en produit entre 1000 à 1255(1). Une autre étude accentue même cette tendance : sur la période 2014-2019, 500 films sont produits en moyenne par Hollywood contre 1600 par Bollywood et 1500 par Nollywood chaque année (la Mecque du cinéma nigérian et le deuxième employeur du pays derrière l’agriculture)(2). Alors pourquoi sommes nous abreuvés de cinéma hollywoodien alors que le cinéma indien peine à trouver sa place sur nos écrans ?

*le soft power se définit par la capacité d’un État à influencer et à orienter les relations internationales en sa faveur par un ensemble de moyens autres que coercitifs (menace ou emploi de la force par exemple qui sont, eux plutôt appelés le hard power). Le soft power passe à travers la diplomatie, les alliances, la coopération institutionnelle, l’aide économique, l’attractivité de la culture et le modèle politico-économique. Il sert à convaincre les autres acteurs des relations internationales d’agir ou de se positionner dans un sens donné.

 

Comme beaucoup, mes premiers contacts directs avec le cinéma indien se sont faits via Internet. En découvrant les extraits complètement WTF du film Enthiran (2010), le terminator indien. Des séquences d’actions complètement surréalistes qui ont fait péter les plombs aux addicts du cinéma de genre comme moi. 


Première grosse taloche.
Mais difficile dans une ville de province de trouver son bonheur.

Et difficile d’exister pour une autre cinématographie face au rouleau compresseur américain. Bon en même temps, le cinéma indien n’a jamais eu besoin de nous pour exister. Par contre, nous avons bien besoin de cette cinématographie pour satisfaire nos besoins compulsifs de cinéphage. Mais ne soyons pas naïfs non plus ; la production pléthorique indienne accouche évidemment de bourdes énormes et il peut être risqué de s’aventurer dans cette exploration sans quelques pistes préalables.

Depuis l’arrivée de Netflix et les autres plateformes, l’offre a évoluée. Et c’est en partie grâce à cela ; et le festival hallucinations Collectives et Mad Movies (particulièrement François Cau)… Plouf, plouf. C’est essentiellement grâce à eux que j’ai pu découvrir quelques œuvres incroyables.
Alors, voilà,  je me retrousse les manches pour vous parlez de ces films indiens qui ont jalonnés mon parcours ces dernières années. Ça vous donnera, je l’espère, envie de tenter l’expérience.

Eega (Maakhi) de S.S Rajamouli -2012. Oui, oui le même qui a réalisé RRR.
Ce film m’a laissé ébahi, avec un grand sourire aux lèvres, tellement le concept casse-gueule est tenu d’un bout à l’autre avec un sens de la narration et du spectaculaire qui avale toute réticence.
Écoutez plutôt :
Nani, un jeune homme pauvre tombe amoureux de sa voisine Bindu qui travaille pour une ONG. En cherchant des fonds pour son organisation, elle rencontre un riche industriel Sudeep qui la trouve également attirante. Celui-ci voit donc Nani comme un rival à abattre. Ce qu’il va s’empresser de faire. Mais Nani se réincarne en mouche. Et, à partir de là, il va pourrir la vie de Sudeep. Mais vraiment…

Si ce résumé ne réveille pas en vous une excitation incontrôlable et le besoin immédiat de voir ce film, c’est que peut-être vous n’êtes pas prêt à voir ce qui va suivre. Un film qui réussit à être drôle, émouvant, épique et profondément réjouissant. Pas d’anthropomorphisme à la Disney dans ce film, la mouche a vraiment l’air d’une mouche. Et le film de dérouler des scènes hallucinantes : de la naissance de la mouche et son premier vol à sa transformation en chevalier volant, S.S Rajamouli réalise, par ses talents de conteur et sa maîtrise parfaite de la mise en scène, ses rêves les plus fous . Et le spectateur subjugué, par une audace qui frôle le kitsch s’en jamais si vautré, prend un pied de tous les diables. C’est un film incroyablement jubilatoire. Le bonhomme a déjà une petite dizaine de films à son actif et quelques incursions télévisuelles. Mais Eega pose les bases de la future carrière du réalisateur qui ne cessera de mettre sur grand écran des séquences qui éclatent toutes nos attentes.

Disponible sur Netflix

Eega a été le déclic. Le film qui m’a donné envie de creuser la piste de ce cinéma que je connaissais si mal. Peu après, je découvre une édition DVD de Gangs of Wasseypur chez Imaginefilm. Une commande et une double insertion de galettes dans mon lecteur plus tard, je-suis-sur-le-cul.

Gangs of Wasseypur de Anurag Kashyap -2012 


GoW est une fresque monumentale de plus de cinq heures qui tutoie le Parrain de Coppola et Les affranchis de Scorcese avec une force de frappe qui le propulse directement au niveau de ces références, rien que ça! L’histoire couvre cinquante de l’ascension de la mafia du charbon. L’histoire débute dans les années 50 dans la région du Dhanbad. Suite à l’indépendance de l’Inde (1947) les mines de charbon britanniques sont revendues à des industriels Indiens. Des mines qui avaient été créées durant la période colonial en saisissant les terres agricoles aux paysans de cette région. L’un de ces industriels, Ramadhir Singh, en reçoit quelques unes et continue de perpétrer la coutume britannique en terrorisant la populace locale grâce à son homme de main, Sahid Khan. Celui-ci à l’ambition de lui reprendre les mines. Il se fait assassiné et c’est l’un des fils, Sardar qui, apprenant la vérité, se rase la tête et jure de ne plus laisser pousser ses cheveux tant qu’il n’aura pas vengé la mort de son père.
La dette de sang s’étendra jusqu’à C’est Faizal Khan, fils de Sardar et petit-fils de Shahid, grand fumeur d’herbe, cruel et sans pitié, qui reprendra le flambeau.

© 2022 IMAGINE FILM DISTRIBUTION

© 2022 IMAGINE FILM DISTRIBUTION

© 2022 IMAGINE FILM DISTRIBUTION

Gangs of Wasseypur est le film idéal pour effacer notre vision cliché du cinéma « Bollywood ». Le film dresse un portrait noire et énervée de l’Inde bien loin des comédies romantiques et du glamour en vogue dans le cinéma mainstream indien. Même si les gangsters du film sont terriblement influencés par l’industrie cinématographique, ils en recopient les modes vestimentaires et les attitudes, la réalité de leur quotidien s’avère bien plus brutale. À travers l’histoire de cette guerre de clans s’étendant sur plus de 60 ans, Anurag Kashyap raconte une partie de l’évolution socio-politique de l’Inde. Cela ne pourrait être un violent pamphlet ; ce qui serait déjà pas si mal ; mais c’est bien plus que cela. Le réalisateur déploie une mise en scène stylisée, ultra dynamique et toujours fascinante ; joue avec les ruptures de tons avec une aisance qui frise la perfection. L’intensité dramatique de certaines séquences est contrebalancé par des perçées humoristiques parfaitement dosées, la musique apporte un contrepoint toujours juste. En cela, on pourrait rapprocher l’œuvre du travail de Scorcese période Casino et les Affranchis mais aussi de Tarantino pour la qualité des dialogues et des échanges. Mais le film ne copie pas ces modèles ; il s’attache à décrire la propagation de la violence au sein la culture indienne avec force et réalisme.
Tous les comédiens sont au diapason. Manoj Bajpayee (Sardar Khan), Nawazuddin Siddiqui (Faizal Khan) et Huma Qureshi (Moshina) dégagent un charisme dingue, comme habités par leurs personnages.
Par son rythme, sa puissance visuelle, son histoire, sa narration folle, Gangs of Wasseypur est une suite de déflagrations jubilatoires qui régalent tous les sens. 

Disponible sur Apple TV et en DVD chez Imaginefilm

Puis vient le magnum opus
La légende de Baahubali de S.S Rajamouli-2015/2017

Le retour de S.S Rajamouli pour une fresque de cinq heures magistrale et épique. 

Shivudu, recueilli au berceau par des villageois, grandi au pied d’une immense cascade. Malgré l’interdiction de sa mère, son rêve a toujours été de franchir cette frontière naturelle et d’explorer le monde caché en amont. Une étrange jeune fille lui apparaît un jour et l’invite à la suivre. Shivudu, mesmérisé, parvient enfin à escalader jusqu’au sommet. Ce monde nouveau, qui se découvre alors devant lui, lui réservera bien des surprises.


Une tornade spectaculaire. Personne n’était prêt à encaisser un tel film depuis des années. C’est ici que vous devriez arrêter de lire et vous précipiter sur le film. Parce que je n’aurais pas les mots pour vous décrire totalement l’effet qu’a produit ce film sur moi. À part peut-être que j’ai redécouvert pourquoi j’aime les films grands spectacles quand, comme Baahubali, ils offrent autant aux spectateurs.C’est un film d’une générosité sans bornes. Un film qui vous fait redécouvrir le plaisir simple du cinéma grand spectacle. L’émerveillement face à des idées toujours plus folles et généreuses qui vous projettent dans une histoire épique. Jamais cynique comme peuvent l’être maintenant certaines productions américaines, Baahubali nous fais redécouvrir le sentiment enfantin de vivre sans aucune retenue une aventure puissante et spectaculaire. Alors c’est sûr Baahubali affiche un romantisme suranné et des sentiments exacerbés parfois jusqu’à l’excès mais cela reste le plus épique des films de fantasy de ces dix dernières années. Un grand moment d’évasion et de rêves comme le cinéma ne nous n’en avait plus offert depuis… Depuis le Seigneur des anneaux, j’ai l’impression.
Et dire que je croyais que Rajamouli avait atteint son Acmé avec Baahubali.
Ben, ça c’était avant qu’il sorte RRR.


Disponible sur Netflix

À partir de Baahubali, je surveille avec encore plus d’attention le cinéma Indien.

TG

 

(1) https://www.cassini-conseil.com/wp-content/uploads/2015/05/TOP-CARTO-CINEMA-01.png
(2) https://www.magazine-decideurs.com/news/le-match-hollywood-bollywood