« Pour Orson Welles faire des films c’est comme jouer avec le plus grand train électrique qu’un enfant ait jamais eu ». Cette phrase que Guillermo Del Toro met en exergue dans son avant-propos du livre Making of de Pacific Rim (Ecrit par David.S.Cohen – éditions Huginn et Muninn) pourrait sonner comme une profession de foi pour le bonhomme.
Mais dans les faits et dans sa filmographie le personnage est beaucoup plus complexe qu’un Michael Bay avec du talent, ou le prototype du geek ultime comme on pourrait facilement le catégoriser. Del Toro porte dans ses gênes depuis toujours son amour pour les monstres. Pas les monstres réels, ceux qui envahissent notre quotidien sous couvert d’un aspect bien conventionnel ; ses monstres a lui peuplent l’inconscient, les rêves, les contes et les histoires pour enfant.
Dans un long entretien qu’il a accordé à Mad Movies pour le superbe hors-série qui lui est consacré ; et que je ne peux que vous conseiller si vous voulez en savoir plus sur le réalisateur; il raconte une anecdote fondatrice.
Enfant Guillermo Del Toro avait des terreurs nocturnes et des rêves lucides. Il se réveillait dans son rêve et se retrouvait dans sa chambre. Son lit était entouré de créatures qui le terrifiaient. Il en faisait pipi dans ses draps. Une nuit il a décidé de parler à l’une des créatures qui hantait sa chambre : « Veux tu bien me laisser aller aux toilettes? Si oui, je serais ton ami à jamais ». Depuis ce jour il n’a plus jamais revu les créatures autour de son lit. Elles peuplent dorénavant son cinéma et chacun de ses films est une manière de leur rendre hommage. D’une manière plus large Guillermo Del Toro est un réalisateur de l’imaginaire qui croit en la reconfiguration perpétuelle des idées, au symbolisme (Ils apprécient les peintres comme Félicien Rops, Arnold Böcklin ou Carlos Schwabe), et s’inspire du fantastique gothique des écrivains comme H.P Lovecraft, évidemment, mais aussi Algernon Blackwood, écrivain de récits d’horreur, ou Lord Dunsany (Fondateur de la fantasy moderne).
Le faune de Carlos Schwabe – 1823. Une inspiration pour le labyrinthe de Pan?
Guillermo Del Toro commence par travailler dans le domaine des effets spéciaux pour la série mexicaine Hora Marcada, genre de contes de la crypte mexicain cheap. Il se fera la main en confectionnant les effets pour 21 épisodes en réalisera 3 et rencontrera sur le plateau Alfonso Cuaron (réalisateur de Gravity et les fils de l’homme) qui réalise quelques épisodes.
Il considère la série comme plutôt mauvaise mais elle lui a permis avec Alfonso Cuaron de se faire la main. Chaque épisode était le moyen de tester et pratiquer la mise en scène.
Ses obsessions en dehors des monstres sont les engrenages et les mécanismes d’horlogerie. Voir Cronos, Hellboy 2, par exemple. La mise en scène de tous ses films allient une précision formelle de chaque instant où la qualité de finition de chaque détail s’efface devant la majesté de l’architecture générale. Del Toro construit ses films comme des cathédrales. Il prépare minutieusement chaque plan en story board, choisissant ses focales avec soins et ne change plus d’avis après.
Après l’expérience catastrophique de son deuxième film. Mimic qui est son premier film américain tourné pour la Weinstein company ; il sera dépossédé du film qui sera remonté et certaines scènes seront entièrement retournées ; il devient un control-freak absolu. Sur Pacific Rim par exemple il n’y avait pas de deuxième équipe de tournage. Il dirigeait lui-même la deuxième équipe avant que la première se mette en place. Guillermo Del Toro est un bosseur fou qui veut produire des oeuvres uniques et complètements personnelles. Guillermo Del Toro dessine tous dans ses carnets de croquis. Il met en place des codes couleurs pour chacun de ses films, donne moult détails sur les costumes en fonction des scènes, les décors et les symboles parcourant ses films.
L’un des premiers films qu’il a vu au cinéma c’est l’étrange créature du lac noir de Jack Arnold (1954). La forme de l’eau est certainement une forme d’hommage à ce film .
Donc nous y voilà, on attend le nouveau film de Del Toro avec gourmandise depuis les premiers échos et son Lion d’Or à la Mostra de Venise. Parce qu’on lit Guillermo comme un livre ouvert à la lumière d’une chandelle. Un grimoire d’alchimiste fascinant découvert dans le vieux coffre poussiéreux du grenier qui nous livre les secrets du monde. Les Films de Del Toro sont ce qui se rapproche le plus de la puissance évocatrice des contes et des mythes ancestraux. Chacune des créations monstrueuses issues de son cerveau semblent émerger d’un inconscient collectif. Del Toro est un alchimiste spirituel; préférant la liberté des expressions fluctuantes de la pensée et des symboles aux dogmes et certitudes de la science.
C’est le conteur, le scripte et le shaman de notre tribu. Notre parent à tous. Guillermo partage avec nous son besoin de raconter, d’imaginer pour vivre pour survivre depuis toujours, généreusement, sans arrière pensée. En cela il est intemporel et il a l’immense charge de révéler l’univers des monstres fantastiques qui peuplent les lisières du monde.
Filmographie
Cronos – 1993
Son premier film. Approche originale du thème vampirique. Toutes ses obsessions sont déjà présentes : les insectes, les mécanismes d’horlogerie et les monstres. A voir comme l’acte fondateur du cinéma de Del Toro et un film de vampire incroyablement original.
Mimic – 1997
Le film reste une série B valable malgré les multiples retakes tournées sans son avis. Mais tellement en dessous de ce qu’il voulait en faire. Il a peu révisé le film dans une version director’s cut sortie en 2011 en DVD qui reste à priori loin de son idée de départ (prendre le partie des insectes). Pour lui Mimic « c’est comme ramasser un savon sous la douche en prison : une expérience compliquée! »
L’échine du diable – 2001
Première oeuvre espagnole et un chef d’oeuvre immédiat. Le Style Del Toro s’affirme avec justesse et émotion dans cette histoire de fantômes se situant dans un orphelinat pendant la guerre civile espagnole. C’est la première fois qu’il confronte la monstruosité du monde réel aux monstres fantastiques. Le film évite tous manichéisme et plonge au contraire avec un réalisme effrayant dans les affres de la guerre et la souffrance des enfants. Son premier chef d’oeuvre.
Blade 2 – 2002
Film de super héros expérimental. Avec l’échine du diable c’est le premier film qui marque l’aspect bicéphale de Del Toro. Ici sa capacité à pousser une oeuvre de pur divertissement hors de ses limites pour en faire un terrain de jeu propice à des expérimentations folles qui, avec le Spiderman de Sam Raimi vont créer les bases de la mise en scène de la plupart des films de super héros modernes. Une oeuvre complètement jouissive.
Hellboy – 2004
Del Toro poursuit l’envie d’adapter le comics book Hellboy (dont les premières aventures datent de 1994) depuis des années. Et si il n’a pas les mains complètement libres sur celui-là avec par exemple l’obligation d’ajouter un sidekick embarassant , l’agent John Myers (qu’il s’empressera d’effacer dans le 2), et un budget somme toute assez restreint Del Toro s’en sort largement avec les honneurs en rendant un vibrant hommage à l’univers de Lovecraft. Le film transpire l’amour qu’il porte à la bande dessinée.
Le Labyrinthe de Pan – 2006
Son chef d’oeuvre absolu et certainement le plus personnel. Il faut voir et revoir le Labyrinthe de Pan. Le film s’inscrit dans la droite ligne de L’échine du diable , il se déroule également durant la période franquiste de l’Espagne, mais en pousse tous les curseurs. Tout est superbe, déchirant d’émotions. C’est un conte noir d’un profondeur abyssale. La puissance de l’imaginaire en lutte comme un moyen de lutter contre la sordide réalité n’a peut-être jamais été aussi bien ressentie. Une perle intemporelle.
Hellboy 2 – 2008
Dorénavant plus rien n’arrête Del Toro. Hellboy 2 déroule un univers imaginaire foisonnant. Plongeant dans les archétypes des contes, mythes et du cinéma fantastique pour accoucher d’une oeuvre jouissive traversée par une des plus importantes et imposantes ménageries de monstres de toutes l’histoire du cinéma. Hellboy 2 est remplie jusqu’à la gueule de scènes magnifiques mélant toutes les techniques sans que cela ne nuise le moins du monde à l’histoire racontée. La figure du prince Nuada nous laisse imaginé ce que pourrait donner une adaptation d’Elric Encore un film à voir et à revoir avec un plaisir toujours renouvelé. On attend malheureusement toujours le troisième opus de ce qui devait être une trilogie.

Une partie du bestiaire hallucinant de Hellboy 2
Pacific Rim – 2013
Rêve de gosse. Film au concept des plus casse-gueule que Del Toro transcende ne le traitant le plus sérieusement du monde. Une pure confiserie pour les yeux que Guillermo truffe de détails touchants. C’est sa déclaration d’amour aux films de monstres japonais. La maîtrise totale de la mise en scène de Del Toro sert complètement son histoire sans être ostentatoire. Sans doute sa plus grande réussite dans le domaine du film grand spectacle.
Crimson Peak – 2015
Del Toro imprime à la structure même de son film son obsession pour les mécanismes d’horlogerie. C’est aussi son plus bel hommage à l’horreur gothique. Chaque plan du film concentre toute la force expressive de son cinéma. La noirceur absolue côtoie la plus raffinée des beautés. On aimerait traîner dans chaque plan, chaque phonogramme tant la lumière dessine une ambiance magnifique. On s’abandonne parfois complètement à la contemplation de cette esthétique si raffinée pour en oublier l’histoire. Mais cette abandon est si délicieux qu’on pardonne aisément la faiblesse narrative.
Mes sources pour le texte avant la filmographie sont :
le Hors-série de Mad Movies consacré à Guillermo Del Toro
Le Rockyrama n°16 consacré à Guillermo Del Toro
Le livre Making Of du tournage Pacific Rim
Nous survolons ici brièvement sa filmographie mais Guillermo Del Toro n’est pas seulement réalisateur, il est également producteur(l’orphelinat de JuanAntonio Bayona, Splice de Vincenzo Natali…, écrivain (les romans La lignée; adaptée en série télévisée plus tard : The Strain). Il a également travailler avec Hidéo Kojima (le mec qu’a fait les métal gear solid quoi!!) sur une nouvelle version de Silent Hill : Silent Hill P.T. Il n’existe qu’une démo de ce jeux jamais finalisé. Un autre des grands projets avortés de Del Toro c’est l’adaptation du roman Les Montagnes Hallucinées de H.P Lovecraft. Il y pense depuis des années. Et on peut espérer que le multi-récompenses récoltées par La forme de l’eau lui donneront libre cours pour réaliser ce projet qui s’annonce complètement fou.